mercredi 18 avril 2012

Général Patrick Lunet "la création d'un procureur et d'un droit pénal européens doit être plus que jamais d'actualité"





securiteinterieure.fr a l'honneur de recevoir dans les Conversations de securiteinterieure.fr le Général Patrick Lunet, Général de division et commandant de la région de la Gendarmerie du Nord-Pas-de-Calais. Originaire d'Aix-en-Provence, il a été commandant Commandant de groupement de gendarmerie de Savoie puis de Corse du Sud, avant d'être commandant de la Légion de gendarmerie d'Alsace et d'être à l'Inspection générale des armées.


securiteinterieure.fr : En tant que commandant de la région de Gendarmerie du Nord-Pas-de-Calais, quelle est votre vision de la sécurité intérieure ?

La sécurité intérieure, à mon sens, est l'une des composantes essentielles de la stabilité des états, car le "contrat social" qui fonde leur légitimité repose sur la capacité de ces mêmes états à garantir à chaque citoyen a la possibilité de mener une vie personnelle et professionnelle dans des conditions acceptables. Cela signifie donc que les organisations en charge de cette sécurité intérieure puissent contrer les agissements "contraires au contrat" d'individus ou de groupes qui, en fait, "parasitent" leur environnement social.
S'agissant plus particulièrement de la région Nord-Pas-de-Calais, j'observe que, situé au cœur de l'Europe, à la croisée des axes de circulation reliant les grands ports hollandais et belges au bassin parisien, à l'Europe du sud et aux pays du pourtour méditerranéen, cet espace géographique constitue un terrain particulièrement favorable au développement de la criminalité organisée.

L'office de police européen Europol, relève d'ailleurs que le Nord-Ouest de l'Europe est une zone au centre de laquelle plusieurs activités criminelles se développent, en particulier les infractions à la législation sur les stupéfiants, les fraudes, la contrefaçon ou les trafics de véhicules volés. La sophistication des circuits de blanchiment, la libéralisation de l'économie, la suppression des contrôles aux frontières et les disparités législatives entre les Etats membres de l'Union européenne, ont aggravé les risques de manière importante.

Une part  non négligeable des enquêtes conduites par les unités de gendarmerie du Nord-Pas-de-Calais a ainsi des implications en Belgique et en Hollande et nous commençons à percevoir des développements dans d'autres pays de l'Union.



securiteinterieure.fr : Quelle est d'après vous la principale menace ou phénomène criminel auquel vous êtes confronté ?


Nous sommes aujourd'hui confrontés, à l'échelon national et international,  à une délinquance organisée  et polyvalente qui s'affranchit aisément des frontières terrestres et maritimes. Des faits qui, auparavant, étaient commis par des délinquants isolés, entrent aujourd'hui dans le champ de la criminalité organisée  en impactant beaucoup plus directement le citoyen. Ces groupes criminels sont impliqués, aussi bien dans des périples de cambriolages, des home jacking, des trafics de véhicules volés, des trafics de stupéfiants, des escroqueries, que dans la traite des êtres humains.

C'est une délinquance  très mobile qui s'adapte  sans cesse  à l'évolution des nouvelles technologies  et à la répression en profitant des frontières, et dont les donneurs d'ordre et têtes de réseau , pour garantir leur impunité, sont à l'étranger. Dans certains cas, des équipes de  « petites mains » ,  constituées bien souvent de mineurs, agissent à grande échelle, en commettant des délits de faible gravité, limitant ainsi les risques de poursuites pénales en cas d'interpellation. Cet état de fait complique singulièrement la tâche des forces de l'ordre.


securiteinterieure.fr : Quelles sont les avancées de l'Union européenne dans votre quotidien et dans celui du personnel sous votre responsabilité ?

Notre positionnement géographique rend  indispensable la maîtrise et l'utilisation des outils de coopération policière pour lutter efficacement contre cette délinquance organisée  et, à ce titre, nous cherchons à ce que nos personnels soient  parfaitement rompus à l'utilisation de ces outils de coopération. Dans cet esprit, la région de gendarmerie du Nord Pas de Calais a développé et diffusé un "memento de coopération transfrontalière" pour répondre à ce besoin.

D'un point de vue opérationnel, la coopération internationale est facilitée par l'existence de la  Section  Centrale de  Coopération  Opérationnelle de  Police (SCCOPOL) , structure  qui regroupe les trois canaux institutionnels auxquels la France participe, à savoir Europol, Schengen et Interpol. Grâce à ce  ce point d'entrée unique, l'enquêteur est dirigé vers le canal de coopération policière le mieux à même de répondre à  ses attentes.

Quotidiennement, nos gendarmes sont amenés à solliciter ces points de coopération, qu'il s'agisse d'Europol (demande de renseignements, d'accès à des fichiers d'analyse) , de Schengen (accès au Système d'Information Schengen - SIS) (demandes d'observation transfrontalière  et échanges d'informations) ou dans le cadre du traité de Prüm, qui a instauré un système automatisé de comparaison des profils ADN présents dans les fichiers nationaux de nos partenaires européens.

Sur la base de la convention d'application des accords de Schengen, des accords bilatéraux ont été signés entre la France et les pays frontaliers, instituant des Centres de Coopération Policière et Douanière  (CCPD) à proximité des frontières françaises .  Pour la Belgique, l’Accord de Tournai,  signé le 5 mars 2001,  détermine le rôle et les missions du CCPD de Tournai (voir à ce sujet les Conversations avec le Commissaire Janvier de Winter). Ce centre est à la disposition des services de police et s'attache à faciliter les échanges d'informations transfrontalières  en vue de lutter notamment contre les trafics illicites, la  délinquance transfrontalière et l'immigration irrégulière. D'autre part, nous participons également au comité stratégique franco-belge ou encore, dans le cadre d'une coopération directe avec nos partenaires britanniques de la police du comté du Kent,  à la Cross Chanel Intelligence Community  (CCIC) dont un de mes officiers est d'ailleurs co-pilote d'un des groupes de travail.

Enfin, des patrouilles mixtes et des opérations de contrôles coordonnés avec nos partenaires belges et néerlandais sont régulièrement mises en œuvre. Par ailleurs, nous procédons régulièrement à des échanges avec la police du Kent : c'est ainsi par exemple que chaque été, des policiers britanniques sont déployés dans les postes saisonniers armés par la gendarmerie sur la Côte d'Opale ou dans le cadre de la surveillance du réseau routier lors des grands départs en vacances.


securiteinterieure.fr : Quelles sont les difficultés rencontrées et quels sont encore les progrès à faire concernant la coopération policière européenne ?

La principale difficulté réside dans la prise en compte judiciaire de cette nouvelle criminalité transnationale qui , aujourd'hui, ne se concentre plus sur un ou deux territoires, mais sur l'Europe  entière, voire même au delà de ses frontières. Si les échanges de renseignements entre pays sont fructueux, il peut parfois être difficile de déterminer le mode d'action le plus judicieux, le mieux adapté, le plus rapide, susceptible d'éradiquer cette criminalité organisée.
 

En effet, bien souvent, lorsqu'un phénomène criminel est détecté et des individus soupçonnés, ces derniers se sentant menacés, préfèrent quitter le territoire et poursuivre ailleurs leurs projets criminels. Il se peut alors que le phénomène détecté ne devienne plus une priorité pour le pays délaissé par les délinquants. Il est donc primordial d'intégrer nos modes d'action dans une structure européenne, de ne pas mener isolément nos enquêtes mais de les penser dans le cadre du système européen de justice pénale afin d'engager une action judiciaire commune et ne pas laisser impunis les principales têtes de réseau. Les actions de police menées localement contre les « petites mains » n'ont une efficacité qu'à très court terme et n'incitent pas les donneurs d'ordre à cesser leurs activités criminelles . Elles les obligent, tout au moins, à les délocaliser temporairement ou à les diversifier. Le dispositif des équipes communes d'enquête, qui permet d'adopter une stratégie concertée dans la lutte contre la criminalité organisée transfrontalière, fonctionne bien, et notamment en matière de trafic de stupéfiants. Cependant, leur champ d'application pourrait être utilement  étendu à d’autres domaines de la criminalité organisée transfrontalière qui a élargi le spectre de ses activités.

Les réponses apportées par les gouvernements européens étant sans commune mesure avec les défis soulevés par l'augmentation des formes graves de criminalité transnationale que nous connaissons aujourd'hui, la création d'un procureur et d'un droit pénal européens, que la France a déjà appelé de ses vœux, est plus que jamais d'actualité.




Nota Bene : Les Conversations de securiteinterieure.fr sont des entretiens ayant pour thème la sécurité intérieure ainsi que des sujets ayant un rapport avec elle. Ces Conversations sont des entretiens pluralistes avec des personnes issues de tous horizons (chercheurs ou praticiens) et de toutes orientations politiques. Elles constituent un volet du site securiteinterieure.fr. Vous pouvez consulter la charte éditoriale du site.
Ces conversations vous sont ouvertes. Ils vous suffit d'envoyer un message à : securiteinterieure [à] securiteinterieure.fr ou bien directement à pierreberthelet [à] hotmail.com

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