samedi 6 octobre 2012

Michèle Coninsx : "Nous sommes conscients de la nécessité de sensibiliser le public à la valeur ajoutée que constitue Eurojust"




securiteinterieure.fr a l'honneur de recevoir dans les Conversations de securiteinterieure.fr Michèle Coninsx, Présidente de l'unité de coopération judiciaire européenne, Eurojust.
Michèle Coninsx est Présidente d'Eurojust depuis le mois d'avril 2012. Elle en a été Vice-présidente à partir de 2007. Madame Coninsx a eu une carrière judiciaire de plus de 23 ans. De 1997 à 2001, juste avant de rejoindre Eurojust, elle a été l'une des trois Procureurs nationaux belges en charge de la coordination de la lutte contre le crime organisé et le terrorisme au niveau de l'ensemble du pays.
En 2001, Mme Coninsx a participé à la création de Pro-Eurojust (embryon d'Eurojust) à Bruxelles, comme substitut du Procureur général et en qualité de Membre national pour la Belgique. Elle a été Présidente de Pro-Eurojust au cours de la Présidence belge du Conseil de l'UE en 2001.


securiteinterieure.fr : Eurojust a dix ans (voire même davantage si l'on compte période d'activité de l'unité provisoire). Quel regard portez-vous sur l'institution?

Eurojust est l’unité de coopération judiciaire de l'Union européenne qui est indispensable au sein de la création de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Le succès d’Eurojust ressort de l’évolution du nombre des dossiers enregistrés par Eurojust ayant passé de 202, en 2002, l’année de sa création, à plus de 1441 en 2011. L’augmentation du nombre de dossiers a permis à Eurojust de développer et de promouvoir auprès des praticiens dans les Etats membres de l’Union Européenne, des instruments pour vaincre la menace que constitue la criminalité transfrontalière, tels que réunions de coordination, équipes communes d’enquête (ECE) et centres de coordination.
 

Le succès d’Eurojust s’explique par le fait qu’elle prête assistance aux autorités nationales luttant contre la criminalité transfrontalière grave en coordonnant les enquêtes et les poursuites entre elles afin d’obtenir une vue d’ensemble des activités criminelles dans les différents Etats membres. Cette coordination permet de décider sur la meilleure façon de coopérer efficacement, de prévenir et résoudre les conflits de juridiction, de répondre à la question de savoir quelles autorités sont les mieux placées pour mener des poursuites, et d’assurer que les preuves recueillies suivant les règles des 30 systèmes légaux de l’Union Européenne peuvent être utilisées dans les procès engagés dans les Etats membres impliqués tout en respectant les droits fondamentaux des individus.

securiteinterieure.fr : Selon vous, quelle est la principale valeur ajoutée d'Eurojust ? Comment Eurojust aide-t-il à lutter contre la criminalité transfrontalière ?

Comme indiqué ci-dessus, la coordination ou, plus concrètement, les réunions de coordination sont cruciales en tant que valeur ajoutée apportée par Eurojust. Elles constituent un instrument de valeur pour assurer l’usage efficace des ressources humaines des Etats membres impliquées dans les enquêtes et poursuites relatives aux dossiers de crime transfrontalier. Eurojust offre une plate-forme sécurisée, l’infrastructure et d’autres ressources nécessaires pour échanger l’information, comme les vidéoconférences, traductions simultanées, unité d’analyse de dossiers, et autre expertise interne. 


Ces réunions permettent aux autorités nationales compétentes, aux Membres Nationaux d’Eurojust, et aux représentants d’organes partenaires de l’Union Européenne tels qu’Europol et l’OLAF, de discuter d’enquêtes en cours et de convenir d’une stratégie de poursuites commune entre Etats membres, de planifier et coordonner enquêtes et actions simultanées (comme par exemple arrestations, perquisitions et saisies, et le recueil de preuves recevables), d’anticiper et résoudre des difficultés légales et de faciliter l’exécution des demandes d’entraide judiciaire qui s’ensuivent, comme par exemple les mandats d’arrêt européens. L’augmentation continue du nombre de réunions de coordination montre clairement la valeur ajoutée d’Eurojust.  

En outre, au cours des cinq dernières années, Eurojust a facilité la lutte contre la criminalité transfrontalière via des équipes communes d’enquête en assistant les enquêteurs nationaux et les autorités judiciaires dans la mise en place d’équipes communes d’enquête, en évaluant des projets de financement d’équipes communes d’enquête provenant des Etats membres dans le cadre du soi-disant “Eurojust’s JIT Funding Projects”. C’est avec succès que des équipes communes d’enquête ont été mises en place dans des dossiers de criminalité transfrontalière grave telle que le trafic des drogues et la traite des êtres humains.


securiteinterieure.fr : L'une des difficultés rencontrées par Eurojust est que les Etats ne font pas suffisamment appel à lui malgré ses potentialités en matière d'appui judiciaire. Qu'en pensez-vous ? Y a-t-il d'autres obstacles?

Pendant dix ans nous nous sommes concentrés sur le développement de notre activité principale et ses ressources essentielles telles que le système de gestion des dossiers (“Case Management System”) et le soutien analytique des activités opérationnelles du Collège d’Eurojust. Petit à petit Eurojust a établi son expertise. Elle a récemment fait l’objet d’une étude de sa structure organisationnelle. Nous sommes parfaitement conscients de la nécessité de sensibiliser le public à la valeur ajoutée que constitue Eurojust et de mieux promouvoir les succès remportés dans des dossiers où Eurojust a joué un rôle primordial.  

Un obstacle général récurrent au niveau de l’Union Européenne est la non-mise en œuvre des instruments législatifs. La nouvelle décision du Conseil relative au renforcement d’Eurojust, publiée en 2009 et entrée en vigueur en juin 2010, est également confrontée  à un processus de mise en œuvre lent (aussi bien sur le plan technique que légal) qui est loin d’être accompli dans tous les Etats membres. 


L’action d’Eurojust dépend des demandes d’assistance venant des Etats membres. En outre, nous sommes souvent saisis seulement à un stade tardif des procédures répressives.
L’adoption de la nouvelle Décision, qui a pour finalité de renforcer les capacités opérationnelles d’Eurojust, a permis à Eurojust d’entrer dans une nouvelle phase de son développement. L’article 13 en particulier, qui impose aux autorités des Etats membres la transmission d’informations à Eurojust, et la mise en place d’un système national de coordination Eurojust sont des moyens qui devraient rendre Eurojust plus proactive grâce au fait qu’elle possédera de plus en plus d’informations pertinentes.  





securiteinterieure.fr : Imaginons Eurojust dans 10 ans... comment le verriez-vous ?

Dans un proche avenir la nouvelle Décision Eurojust renforcera la position d’Eurojust (cf.  Question 3). 
A plus long terme le nouveau Traité ouvrira la voie à une façon plus européanisée  d’aborder la coopération judiciaire et le potentiel d’Eurojust est prévu par le Traité de Lisbonne. Ce dernier pourra avoir un effet fondamental sur l’avenir d’Eurojust, non seulement par le renforcement du rôle d’Eurojust dans la lutte contre la criminalité transfrontalière dans l’Union Européenne sur la base de l’article 85 du TFUE, mais également par le rôle privilégié accordé à Eurojust dans l’éventuelle institution d’un parquet européen “à partir d’Eurojust”, comme prévu dans l’article 86 du TFUE. 


Il ressort du dernier article que le parquet européen doit être établi «à partir d’Eurojust ». Cela signifie qu’Eurojust aura un rôle unique par rapport à l’institution d’un parquet européen ce qui vaut également, par conséquent, pour la relation entre Eurojust et le parquet européen. Dans le contexte des priorités actuelles telles que l’efficacité, les économies, l’interaction et la synergie, nous sommes obligés de réfléchir sur une structure qui fait bon usage des structures administratives existantes et des ressources des organisations mentionnées dans le texte, soit Eurojust, Europol et l’OLAF.

securiteinterieure.fr : Le projet de procureur européen fait partie des "serpents de mer" de l'espace de liberté, de sécurité et de justice. La Commission devrait présenter une proposition en 2013. Avez-vous bon espoir que ce procureur verra le jour ?

Le parquet européen n’est plus au stade des arguments pour et contre, car la décision et la volonté politique d’instituer le parquet européen existe déjà. Il est vrai que dans une première phase il sera probablement institué via une coopération renforcée (d’au moins 9 Etats membres) et avec seule compétence les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union.

En 2009 Eurojust a établi une “Task Force on the Future of Eurojust” afin de réfléchir, au sein d’Eurojust, sur ses développements futurs. Le parquet européen est l’un  des aspects abordés dans ce contexte. En outre, Eurojust contribue, de son point de vue de praticien, aux travaux de réflexion entamés par les Etats membres, la Commission Européenne, et les académiques, etc.



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